Les alpages turcs

Alpages turcs

Plateau d'Anzer Balliköy

La route encastrée dans un lit de rivière rejoint progressivement le plateau d’Anzer. Nous prenons le temps de nous arrêter au café du premier village, Ciçekli. Le propriétaire conserve fièrement tous les outils des anciens. L’ancêtre reste à l’honneur. D’ailleurs, les portraits des patriarches de la famille décédés sont affichés de génération en génération dans les cafés des villages.

Après quelques thés et un conseil de prudence sur les ours, nous voilà partis à la recherche d’un campement… (pas vraiment sereine!)

Nous retrouvons notre ami turc et son amie polonaise pour le campement du soir. Leur choix s’oriente vers un lit de rivière pour planter la tente. Compte tenu du bruit et des orages pluvieux des derniers jours, notre niveau en rafting sur matelas nous semble léger! Nous rebroussons chemin vers l’hôtel du village et pas mécontent de cette rencontre, j’ai nommé Osman le propriétaire de l’hôtel de Balliköy.

 

Ce monsieur est un pilier de village : café, restaurant, hôtel, boucherie, épicerie.. Nous arrivons dans une véritable institution. Oui, Osman est le genre de monsieur qu’on respecte profondément. Il fait tourner le village et réunit dans sa salle, jeunes et anciens, autour du poêle et d’un thé. Chacun se réjouit de jouer aux cartes, au Okey et d’apprendre aux novices. Du lien social à l’état pur comme on l’aime, dans ce coin reculé où le téléphone portable ne sert qu’à téléphoner ;-).

Le matin, quelques personnes passent faire des petites courses d’appoint, certains prennent un thé, la famille passe récupérer le demi mouton découpé, d’autres s’arrêtent pour acheter du pain, acheter du miel. Nous sommes présents dans la salle lors de la défaite de la France contre la Turquie. Difficile à assumer après une coupe du monde remportée en 2018…A la mi-temps, je fais diversion et partage avec Osman quelques leçons de découpe à la turque du mouton autour de son billot.

L’hospitalité à la turque continue dans une famille qui nous a touché par sa gentillesse. Citadins de Rize, ils reviennent aux sources dès que possible les weekend et l’été pour retrouver la vie paisible à Balliköy. Les dames nous font goûter leurs victuailles : pain fait maison, fromage du coin, miel d’Anzer, olives, … Les hommes s’affairent à construire une balançoire et une bibliothèque en bois. On joue, on discute, on s’échange des cadeaux improvisés, chacun souhaite garder un souvenir de cette journée en famille.

Lors d’un voyage au long cours, la famille vient à manquer. C’est avec émotion que je quitte cette famille qui m’aura offert un véritable dimanche en famille.

Un objectif raté de peu

Charlie me laisse à l’hôtel pour partir à l’assaut d’un lac d’altitude sur la route du col d’Anzer. Je le laisse vous contez la suite de cet échec complet !

Je prends la voiture pour m’avancer sur le chemin de pierre vers le col jusqu’à être arrêter par un tas de neige infranchissable. J’attaque la montée en épingle, à pied, au milieu des ruches, et je laisse le torrent dans sa vallée. La pente est de plus en plus forte, malgré les zig-zag de la « route ».

Je rencontre un premier névé que je traverse sans trop de difficulté… puis un second, sur une pente un peu plus forte… puis un troisième, où cela devient franchement casse-gueule.

Au début du quatrième névé, après environ deux heures de marche, je me pose sérieusement la question de savoir ce que je fais là ! Lorsque je me tourne pour regarder la pente, je glisse et me rattrape uniquement grâce à mes bâtons de marche. Pas de casse, mais clairement je ne peux pas continuer. Rebrousser chemin me semble tout aussi périlleux.

Il ne me reste qu’une seule solution, la luge : je m’assoie dans ma « rain cover », mon sac à dos devant moi et mes bâtons en guise de freins et c’est parti. La technique est plutôt efficace. En moins d’une demi-heure, je rejoins la voiture, après trois sessions de luge.

Je retrouve Charline, étonnée par un retour aussi rapide. Je suis bien obligé de lui dire que je n’ai pas atteint mon objectif ; tant s’en faut !

Le miel d'Anzer-Balliköy

Pendant notre séjour, un apiculteur nous a expliqué la malice et l’ingéniosité des ours pour manger du miel. Certains professionnels, dont lui, ont fait installer des vidéo-surveillances pour surveiller le comportement des ours et ainsi, sécuriser davantage leurs ruches. Mais parfois en vain… Il nous montre les ours qui s’essayent à la clôture électrique et malgré une châtaigne, ils réitèrent !

Les abeilles butinent pas moins de 500 fleurs endémiques lui donnant un goût si particulier. Servi avec les rayons, sa couleur dorée et son goût sont si spéciaux que vous fonderez même si vous n’aimez pas le miel. Sur place, il était possible d’acheter des pots à partir de 80euros. En revanche, sur internet, les prix explosent, mieux vaut opter pour le déplacement !

...certifié par les ours!

Un apiculteur, fatigué de voir ses ruches attaquées, a décidé cet été de faire tester ses différents produits aux ours en leur préparant plusieurs récipients remplis de miel. Malgré les différents essais, le miel d’Anzer-Ballikoÿ finit toujours premier. A chaque distribution, Monsieur Ours s’enfile pas moins de 400 euros de miel au grand plaisir de ses papilles ! Prestation en nature du testeur en chef un peu onéreuse!

Après un excellent déjeuner préparé par Eser, il est temps de partir – à contre coeur -. La séparation avec Osman, Eser et cet habitant fut aussi compliquée pour nous que pour eux.. Comme à notre habitude, nous laissons derrière nous un petit effet, cette fois-ci une lettre en anglais. Nous comptons sur notre ami Köskal pour leur traduire prochainement.

Sans toujours comprendre chaque mot, ces hôtes d’exception ont partagé leur vie quelques jours et ont pris soin de nous. Ils étaient fiers que des touristes s’intéressent à leur village, leurs jeux, leurs cultures. Ils craignaient d’ailleurs ce que pensaient les français des turcs.  Alors, s’il vous plait, avant de poser un avis négatif sur les turcs,  stop aux préjugés télévisuels, mieux vaut se rendre sur le terrain ! 😉

Yusufeli, bientôt rayée de la carte

Avant d’arrivée à Yusufeli, nous traversons un chantier d’envergure avec ses baraquements de travailleurs qui grouillent telle une fourmilière. Après une discussion avec un habitant, nous comprenons qu’il s’agit d’un énième barrage sur la rivière Coruh : « la ville et sa vallée vont disparaitre noyées sous les eaux du futur lac, d’ici 3 ans ».

Ce barrage (haut de 270m) et sa centrale hydro-électrique vont permettre de produire 5% de la consommation énergétique du pays. Mais, environ 15.000 habitants seront expropriés et déplacés vers la ville nouvelle de Yansiticilar, à peine sortie de terre. Pas loin de 15.000 personnes supplémentaires seront affectées par le projet (absence de liaison avec la ville, les services de proximité, commerces et école, etc..).

Par ailleurs, le futur site est aride, accidenté, rocheux et aucunement propice à une installation ou à l’agriculture. Les plantations et le bétail ne tiendront pas bien longtemps dans ce nouvel environnement.

L’association des habitants accuse Alstom (soutenu par la France) de contrevenir à certaines règles communautaires et internationales. Ainsi, le géant français contournerait même des règles fixées par la commission mondiale des barrages… Commission dont il est membre !

Outre les conditions de réinstallation défavorables aux habitants, le gouvernement turc envisage de construire 10 barrages supplémentaires sur la même rivière. S’il y avait déjà de l’eau dans le gaz entre la Turquie et la Géorgie (se trouvant en aval) qui n’avait pas donné son accord pour le barrage de Yusufeli, ceux-ci risquent d’être la goutte d’eau qui fera déborder… le lac !

Nous fuyons nous réfugier à Olgunlar dans un village qui devrait rester, encore un bon moment, loin de ces grands projets.

Olgunlar

En hiver, Olgunlar est un hameau un peu plus fréquenté par les touristes, notamment internationaux, qui viennent skier dans ces montagnes sans une remontée mécanique. Les amateurs de poudreuse chaussent les peaux de chamois ou s’envolent en hélicoptère avant de glisser sur le manteau neigeux. Toutefois, ses habitants hivernent au village de Yaylalar, 3km plus bas.

Plus petit qu’Anzer, Olgunlar se compose de quelques chalets où le foin dort au grenier et la traite des vaches rythme la journée. S’en suivent écrémage du lait pour les uns et pâturage des bêtes pour les bergers. J’ai eu la chance d’assister à la traite des vaches dans une étable avec Zélia et son fichu sur la tête, me voici plongée dans la ferme de mes grands parents 25 ans en arrière. Charlie n’est pas autorisé à entrer car leurs vaches ne sont pas habituées à la présence des hommes lors de la traite. Merci de laisser les ladies entre elles ! A chaque sceau rempli, le lait est versé dans l’écrémeuse manuelle par le mari, Ibrahim, qui se charge de séparer le lait et la crème.

Les montagnes du parc national de Kaçkar comportent plusieurs sommets de plus de 3000 m. Nous avons eu envie de nous approcher du pied de son point culminant le Mont Kaçkar. Depuis Olgunlar, nous parcourons les ruelles puis suivons un torrent en direction du hameau d’Hastaf. Au moment où nous sommes passés, le hameau était inhabité et semblait ne plus voir les transhumances d’antan.

Pas un cha dans cette verte vallée, quelques ânes, chevaux et vaches pâturent tranquillement au milieu des ruisseaux qui descendent des dernières neiges. Le vent se lève, le ciel s’obscurcit, nous pique-niquons rapidement avant de redescendre vers Olgunlar. L’orage est sur nos talons et se déchaîne lorsque nous passons la porte de notre chalet. L’électricité se coupe. Nous finissons la soirée à la bougie à manger des arachides.

Pour clôturer notre parenthèse dans ces montagnes, nous avons eu la chance de voir nos premiers ours sur l’autre flan de la montagne, suffisamment loin pour les admirer et non les fuir!

Où est Charlie?

Pour finir, sortez vos lunettes et trouvez Charlie dans le hameau d’Hastaf !