Timeo Danaos et dona ferentis
« Je crains les Grecs, même lorsqu’ils font des cadeaux »
(Virgile in l’Énéide [II, 49])
Les actualités de ces derniers mois racontent que le PIB de la Grèce à augmenter de 1,9 % en 2018 et que tout va pour le mieux (youpi tralala !!) pour les descendants d’Héllên. Ceci n’est que foutaises et balivernes, car ce sont plutôt les grecs, le peuple grec (ceux sur qui s’exercent le pouvoir) qui devraient redouter les autres (Troïka et autres investisseurs charognards) lorsqu’ils « apportent » des cadeaux financiers.
Il suffit pour s’en convaincre d’approcher d’Athènes, cité multi-millénaires, pour constater l’état de délabrement et la décrépitude, des routes, immeubles et autres maisons ; on y voit les arrivées et évacuations d’eau courir le long des façades, les files électriques s’emmêlent au dessus des nids de poules, les poubelles s’entassent dans des containers plus âgés que moi (33 ans et quelques), bref c’est pas la joie. Pas pour tout le monde : l’autoroute, flambant neuve reliant l’aérodrome (comprendre aéroport / déformation professionnelle) au périphérique de la ville est privatisée et assez peu fréquentée en raison de son péage, coûteux pour les locaux. Malgré cela, ce peuple, forgé par pas loin de cinq mille ans d’Histoire, a appris à faire avec … ou plutôt sans :
« À cause de la crise provoquée par son endettement, le pays s’est vu contraint par ses créanciers de vendre au plus offrant le plus grand nombre possible de ses entreprises publiques ou para-publiques, dans le seul objectif d’honorer ses remboursements. Cette mise à l’encan des biens de la collectivité est l’un des aspects les plus absurdes des « plans de sauvetage » imposés depuis 2010 […], qui ont précipité l’économie grecque dans une interminable récession. Exiger d’un État en crise qu’il privatise ses sociétés l’amène nécessairement à les brader […]. La privatisation réunit tous les critères d’un abus de confiance. Ce constat s’impose indépendamment de l’idée que l’on se fait des avantages ou des inconvénients d’un secteur public », pouvait-on lire dans le Monde Diplomatique de juillet 2016.
Cela ne semble pas avoir d’influence sur ce que sont les Grecs. Est-ce la foi, le Ouzo ou encore une sorte de sagesse intrinsèque, distillée à travers les époques, qui le leur permet ?
Pour résumer notre périple, le lendemain de notre arrivée à Athènes, nous avons traversé le canal de Corinthe pour nous rendre dans le Péloponnèse. Nous y avons trouvé plusieurs endroits bien agréable comme les villages de Vytina et de Dimitsana. Depuis l’Arcadie, nous avons un peu tracé vers la Grèce Centrale pour nous rendre à Kalambaka voir les fameux monastères des Météores. Nous sommes passés aux Thermopyles, puisque c’était quasiment sur la route. Puis nous avons mis le cap vers le port du Pyrée, non sans faire un crochet par le joli village de pêcheur de Galaxidi, avant de nous rendre sur la superbe Sifnos. C’est « la mort dans l’âme » que nous avons dû quitter le rocher de Kastro sur le chemin de Rhodes, notre dernière étape grecque.
Alors non, les Grecs ne sont pas plus « pauvres » qu’avant ; il ne s’agit pas de pauvreté, je n’aime pas ce mot qui juge et affuble d’une cicatrice indélébile. Les gens vivent modestement, voir très modestement, avec des petits boulots (dit encore « shit jobs » en anglais), comme ces vieux messieurs qui vendent des tickets de loterie aux terrasses des Kafeneio. Nombreux sont ceux dont la famille possède un lopin de terre avec quelques arbres fruitiers, des légumes et bien sûr des oliviers. Personnellement, je leur trouve une certaine forme de richesse…
Quittons l’Acropole (que nous n’avons pas visitée) pour le port de Pyrée (Piraeus). Sur fond de port de commerce et de passagers, l’horizon est bouché par des dépôts de carburants et des raffineries qui empestent l’air d’une odeur nauséabonde d’hydrocarbures. Dans ce port, là aussi millénaire, les nouveaux catamarans propulsées par des hydro-jet surpuissants, et réservés par leurs prix aux touristes, côtoient de bien vieux rafiots qui desservent les îles lointaines. A bord de ces derniers, point de cabines pour la plèbe : on dort, en famille, sur des sièges dénommés (ironiquement ?) « Air Seat » ou sous les tables. Nous avons eu le plaisir d’y rencontrer Marc, professeur entre autre de français, qui fait des piges comme traducteur pour de gros contrats d’investissement pour un ami à lui. A son âge avancé, il occupe un de ces sièges au confort spartiate comme il dit, alors que nous avions notre cabine avec douche, un pont au dessus…
C’est dans un français impeccable que nous prenons une leçon d’Histoire et de Mythologie Grecque : de Pythagore à Ulysse, en passant par Pérékisis et le prophète Mohammed (ie Mahomet) et jusqu’à nos jours, nous recevons l’onction de son vécu et de son savoir, en route pour Rhodes. Je retiens de notre cours particulier que depuis la guerre de Troie jusqu’aux derniers conflits de notre temps, toutes les guerres ont des causes économiques : les peuples s’entre-tuent pour la richesse et le pouvoir de quelques « happy-few » sous des prétextes fallacieux. Lui qui a connu la deuxième guerre mondiale explique que c’est la richesse de sa famille (ndlr : lopin de terre cultivable), et un peu de ruse qui leur ont permis de ne pas trop souffrir pendant cette période troublée, voir, de s’amuser un peu : son cousin enterrait les melons pour ne pas se les faire voler la nuit venue ; quant à lui, il échangeait des figues contre des munitions auprès de la garnison italienne locale. De cela, il satisfaisait son penchant pour la pyromanie, par exemple, en tassant de la poudre dans un bout de tuyau en métal avant d’allumer le pétard et de le jeter dans un puits. Effets garantis : une belle gerbe d’eau, un puits enfumé et un sacré vacarme. J’ajoute ce petit détail à propos de ce personnage extra-ordinaire. Parmi les subterfuges pédagogiques qu’il a utilisé dans son rôle d’enseignant, il nous explique que pendant le carême, il collait des allumettes, pour chaque bonne action d’un de ses élèves, afin de former une croix… Il allumait le tout pour la fête de Pâques. Enfin, à près de 80 ans, l’homme, toujours agile de ses doigts calleux de maçon, confectionne des œuvres en fils de fer torsadé et en tissus… remarquable !